Peintures à méditer......
L'art chinois chan ou tch'an (zen en japonais), émerge très nettement à l'époque Tang, vers le 7ème siècle de notre ère. Il se caractérise par une apparente simplicité, doublée d'une grande énergie vitale dans le tracé. Le geste du peintre se prépare dans un instant de méditation, en silence. Ce geste est sûr, sans hésitation.
L'art chan influencera le Japon des siècles plus tard, et se transmettra dans les lieux d'enseignement zen.
Cette peinture est enracinée dans une relation étroite à la nature (principe taoïste). Elle est éclairée par un sublime moment de calme. Elle est un murmure de la vie.
La lune est tout aussi brillante que dans mon pays. Du Fu (712-770)
Heureux de voir le théier pousser dans le jardin. Wei Ying Wu (737-792)
Les cercles de méditation
Cet article se veut une incursion dans une pratique calligraphique très japonaise.
Mais précisons une chose : le bouddhisme zen éclairant ces cercles a bien voyagé depuis des siècles ;
en effet, il prend sa source en Inde, pour s'étendre en Chine avant d'être adopté par le Japon.
Cette importation de la Chine au Japon se déroule du VIème siècle au XIIIème siècle.
Ce cercle, appelé enso au Japon,
est symbole de l'illumination,
de l'univers sans limites,
du cycle infini de la vie.
Le cercle n'est pas fermé.
Son ouverture symbolise celle de l'esprit.
Son trait montre moins une forme qu'un vide.
Il est habituellement réalisé d'un seul trait
par les moines pendant la méditation.
Techniquement parlant,
le trait d'encre qui dessine le cercle
est donc tracé en un seul geste.
Pas moyen de s'y reprendre.
Il s'agit bien d'un geste non reproductible.
Seule une personne détachée, libre,
et intérieurement calme
pourra tracer un cercle parfait.
Attention cependant : la calligraphie du cercle
ne cherche pas à atteindre une trace parfaite,
mais plutôt une transe parfaite.
On peut appeler ce cercle le "Pas-Tout-à-Fait-Rond".
On ne trouve pas la perfection
dans ce qui est pur et beau,
mais dans ce qui est équilibré.
C'est cet équilibre qui amène à la perfection.
Simplicité ? Épure ? Esquisse ?
Non. Une parfaite imperfection.
Lorsque l'inattendu d'un petit promontoire
accueille la méditation d'un petit moine...
Auprès de ces cercles sont calligraphiés deux caractères signifiant wu wei :
il s'agit d'un concept taoïste, le non-agir.
Pour autant, ce n'est pas un appel à l'inaction ou à la passivité,
mais plutôt le fait d'agir en conformité avec le mouvement de la nature et de la Voie (le Tao).
Le wu wei se manifeste par l'humilité, la tolérance, la douceur,
chez celui qui a cessé les actions égoïstes et passionnelles.
Et ce, sans aucune prétention à la sagesse.
Ces cercles ont été peints avec un pinceau à plumes de coq.
Carnet de croquis, carnet de voyage...
Même en peinture chinoise, du matériel pratique à transporter existe, à glisser dans la poche ou dans son sac. Il permet de croquer le monde sous toutes ses facettes. Un vrai plaisir qui offre de se rapprocher réellement du sujet observé, bien plus qu'une photographie ! Chaque esquisse peut ensuite faire l'objet d'une peinture plus élaborée en atelier.
Salvagny - Haute Savoie
Cirque de Fer à Cheval - Haute Savoie
face au Mont Blanc
Le jeune et l'Ancien
Île de Noirmoutier - Vendée
Les tourne-pierres
En passant devant ce pin, quelles seraient vos pensées ? Feriez-vous une halte ?
Je suis toujours interpellé par ces images de la nature.
Cet arbre est tout à fait singulier, si beau dans son imperfection, si équilibré dans sa dé-composition...
On est tout proche du "wabi-sabi", voire complètement dedans :
beauté des choses imparfaites, imperfection de la beauté.
Il m'a procuré une émotion forte et m'a donné de passer un bon moment, là .
wabi-sabi
"Chaton"... "Queue de lièvre"... Réalisé au pinceau et à l'aiguille de pin.
... éléments indissociables de la peinture chinoise.
Le sceau, à l'origine, authentifiait un document officiel.
Il attestait aussi de la propriété d'un livre ou d'un objet. Pièce de collection par ailleurs, il était très prisé et donnait à une peinture d'autant plus de valeur que le propriétaire y apposait des sceaux de grande qualité... parfois jusqu'à saturation !
Pour ce qui est de la création d'une peinture chinoise, celle-ci ne serait pas complète si elle n'était accompagnée de sceaux judicieusement apposés dans les coins ou les espaces vides.
Les sceaux contribuent à l'équilibre de la composition. Ils ont valeur de symbole.
On peut, par exemple, placer un sceau portant une maxime sous une calligraphie poétique, ainsi qu'un sceau au nom de l'artiste dans le coin opposé, près de sa signature. De nombreuses possibilités existent.
Le sceau sur lequel est gravé le nom de l'artiste est carré.
Les sceaux énonçant une maxime ou une phrase poétique sont de formes variées.
"sceau d'An Tuo'wan" "l'image est née du coeur" "le vieux bâton d'encre que je frotte StrayBirds / initiales A G
exhale un parfum
qui enveloppe toute ma table de travail"
Les sceaux peuvent être faits de différentes matières : stéatite, jade, marbre...
Ils sont gravés à la main : cette création constitue déjà, à elle seule, un véritable acte artistique.
rencontre fortuite
Le sceau peut être gravé en relief (selon la méthode Yin) : l'impression sera en blanc sur fond rouge.
Ou bien en creux (méthode Yang): l'impression sera en rouge sur fond blanc.
outils pour la gravure des sceaux
La pâte de pigment rouge utilisée, toxique, est du cinabre (minéral composé de sulfure de mercure).
L'art et la maîtrise de la gravure chez les grands Maîtres suscitent l'admiration.
Voici le processus de gravure d'un sceau par Henry Li :
Learning from Nature - La Nature comme Professeur
Toute la création de ce sceau, en vidéo :
Les sceaux de l'artiste contemporain Li Lanqin
- British Museum -
Maroufler une peinture
La peinture chinoise est réalisée sur un papier de fibres végétales, très léger, et doit donc être rigidifié si l'on souhaite l'encadrer. Cette étape s'appelle le marouflage. Elle est très délicate et demande de l'expérience, car elle ne tolère aucune erreur technique ou de manipulation.
Cette opération offre plusieurs avantages :
- le papier sera retendu, tout pli et toute zone gondolée disparaîtront
- les couleurs des encres seront ravivées
- la peinture, rigidifiée, pourra être facilement installée sous verre, encadrée
Traditionnellement, le support de doublage est une feuille identique à celle utilisée pour réaliser la peinture chinoise. Ses dimensions doivent être supérieures de quelques centimètres : cela permet de créer une large marge de papier autour de la peinture ; c'est cette marge qui sera collée sur un support plat et lisse pour le séchage après marouflage.
La colle à maroufler, dans la tradition de la peinture chinoise, est préparée à partir de farine ordinaire ou de farine de riz.
Pour encoller puis maroufler le papier, des brosses spéciales sont utilisées ; respectivement une brosse souple puis une brosse dure en coco.
La technique de marouflage est présentée par Henry Li dans la vidéo suivante :
La dernière étape consistera à détacher la peinture sèche du panneau, en découpant très délicatement tout autour de celle-ci.
... partie intégrante de la peinture.
La tradition artistique chinoise intègre peinture, poésie, sceau et calligraphie en une entité unique désignée par l'expression "les Quatre Excellences".
Étant donné qu'elles traduisent les émotions du peintre, les calligraphies ont toujours eu une importance capitale. Souvent, une bonne peinture peut être gâchée par une mauvaise calligraphie. Au point que parfois, les peintres chinois demandaient à des spécialistes de calligraphier leur peinture à leur place !
Les textes calligraphiés sont de différentes natures :
- Titre de l'oeuvre
- Poèmes de haute époque en rapport avec le tableau
- Poèmes originaux
- Proverbes ou dictons célèbres
Intégrés dans la scène peinte, on les appelle Ti ; rédigés en fin de peinture, ils sont nommés Ba.
La signature, appelée Kuan, est un nom ou pseudonyme auquel s'ajoutent parfois la date et le nom du lieu où a été réalisée la peinture. Comme toute calligraphie sur le tableau, il convient de choisir la meilleure place dans la composition, afin de garantir l'équilibre de l'oeuvre.
La signature est exécutée à l'endroit du sceau de signature, Yin Zhang, identifiant l'artiste.
Depuis des siècles, les Lettrés, surtout les peintres, aimaient à multiplier leurs surnoms. Ces surnoms apparaissaient comme signature mais aussi au travers des sceaux utilisés, et correspondaient aux diverses époques de la vie de l'artiste.
Qi Baishi (1864-1957), par exemple, se faisait également appeler Qi Huang. Sur ses sceaux étaient mentionnés entre autres Baishi l'Ancien, Qi l'Aîné, le Passionné ou le Viel Homme de la Montagne Empruntée...
Mais dans ce domaine, le record atteint par Shitao (1641-1720?) reste inégalé : il s'est donné une bonne trentaine de surnoms, parmi lesquels : le Vieillard de Qingxiang, le Disciple de la Grande Pureté, le Moine Citrouille-Amère ... Par ailleurs, Shitao est très connu sous le nom de Bada Shanren, mais son vrai nom était Zhu Ruoji, et son nom monastique Daoji ou Yuanji !